En Palestine, les chrétiens syriaques gardent espoir malgré la peur de Daech

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Les syriaques de la vieille ville de Jérusalem ont été systématiquement expulsés par Israël depuis 1967, mais la communauté possède encore une forte identité

L’archevêque syriaque Sewerios Malki Murad au patriarcat de Saint-Marc à Jérusalem (MEE/Alex Shams)
L’archevêque syriaque Sewerios Malki Murad au patriarcat de Saint-Marc à Jérusalem (MEE/Alex Shams)

Dans une pièce sans prétention d’une ruelle calme reliant les quartiers arménien et juif de la vieille ville de Jérusalem, celui qui se décrit comme le maire de la petite communauté syriaque de cette ville tient salon.

Tailleur local connu, Sammy Barsoum fait campagne depuis des décennies pour la reconnaissance des quelque 5 000 chrétiens syriaques dont la Palestine est le foyer.

Derrière les machines à coudre et des rangées de foulards colorés sont accrochées des dizaines de photos de Barsoum souriant aux côtés des nombreuses personnalités qui lui ont rendu visite. Des maires britanniques, des patriarches libanais, des célébrités américaines, des évêques syriens et des maires israéliens se disputent l’espace sur son tableau d’affichage, coincés entre des photos de Barsoum en visite à des proches qui ont émigré depuis longtemps en Suède ou aux États-Unis.

Les photographies d’hommes politiques et de célébrités ornent le mur de la boutique de Sammy Barsoum dans ce qui était autrefois le quartier syriaque de la vieille ville de Jérusalem (MEE/Alex Shams) 

Cette exposition témoigne de l’importance de cette communauté malgré sa taille minuscule.

Les Palestiniens syriaques sont les descendants de quelques dizaines de familles qui ont fui le sud de la Turquie dans les années 1910 lors des massacres ottomans ciblant la patrie historique de cette communauté. Environ 300 000 syriaques auraient été tués en même temps qu’1,5 million d’Arméniens au cours du génocide, appelé « Seyfo » en araméen, ce qui signifie « épée ».

Certains membres de la communauté de langue araméenne ont fui vers l’Irak ou la Syrie, où les communautés assyriennes étroitement liées ont vécu et continuent de vivre. D’autres ont cherché refuge plus loin. Quelques centaines sont allées à Jérusalem, s’installant autour du monastère syriaque Saint-Marc, près du quartier arménien.

La communauté s’est intégrée dans son nouveau foyer, apprenant l’arabe et perdant lentement l’araméen, qu’ils avaient apporté avec eux. Toutefois, ils ont conservé leur identité distinctive dans les rues de ce qui est devenu le quartier syriaque. Avec quelques centaines de syriaques à Bethléem, la communauté est devenue une petite mais importante partie de la mosaïque culturelle et religieuse de la Palestine.

Cependant, l’avènement du sionisme et la création d’Israël ont eu de lourdes conséquences. En 1948, lorsqu’Israël a été fondé, 750 000 Palestiniens ont été contraints de fuir leurs maisons. La même scène s’est répétée en 1967, tandis que l’impact économique de l’occupation et, plus tard, la répression israélienne des intifadas ont entraîné un flux régulier d’émigration.

La confiance qui émane du sourire de Barsoum sur les photos masque le fait que la communauté a connu des jours meilleurs.

« Tout cela constituait le quartier syriaque », a-t-il déclaré à Middle East Eye avec nostalgie, désignant le quartier juif. « En 1967, quand Israël a pris le contrôle, cette route était totalement syriaque. Ils ont tout pris, chaque maison, et il n’y a plus un seul syriaque aujourd’hui. »

Suite à l’occupation par Israël de Jérusalem en 1967, des centaines de syriaques ont été expulsés et leurs maisons et magasins donnés à des colons juifs. Aujourd’hui, la zone fait partie du quartier juif – dont la superficie s’est étendue à plusieurs fois sa taille d’origine par la dépossession de 6 000 habitants non-juifs.

Depuis, des persécutions de la sorte se répètent, ciblant tous les Palestiniens.

À Jérusalem, les non-juifs reçoivent rarement l’autorisation de construire ou d’agrandir leurs maisons, tandis que ceux qui partent pendant plus de sept ans sont définitivement privés de leur droit au retour, même s’ils peuvent retracer leurs racines dans la ville plusieurs générations en arrière. Les check-points, le harcèlement par les soldats et les colons israéliens omniprésents et les détentions sommaires sont la routine.

Au fil des années, les humiliations quotidiennes du règne israélien sont devenues monnaie courante. Néanmoins, la montée du sectarisme à travers le Moyen-Orient crée une nouvelle source d’anxiété, faisant de plus en plus craindre que des groupes comme l’État islamique (EI) soient décidés à renverser les communautés chrétiennes qui ont pendant des siècles vécu au milieu de leurs compatriotes arabes d’autres confessions religieuses.

Un gardien se repose à l’intérieur de l’église orthodoxe syrienne de la Mère de Dieu à Bethléem. La plupart des inscriptions dans l’église sont en araméen, y compris celles visibles sur le plafond à côté des anges (MEE/Alex Shams) 

Peur croissante de l’EI

Les Palestiniens ont regardé avec inquiétude le groupe EI balayer le nord de l’Irak à l’été 2014. Parmi les millions de personnes déplacées figuraient des centaines de milliers de chrétiens assyriens, une communauté de langue araméenne proche des syriaques. L’édit de l’EI en juillet 2014 appelant à l’expulsion des chrétiens de Mossoul concrétisait les pires cauchemars de beaucoup dans la région.

Depuis l’invasion américaine en 2003, les chrétiens irakiens ont supporté une part disproportionnée des violences qui ont fait plus d’un million de morts (après la mort de millions en raison des sanctions américaines pendant la décennie précédente). Bien que la grande majorité des victimes soit des musulmans, le déclin général de la sécurité et une série d’attentats visant des églises ont conduit environ un million de chrétiens – sur un total d’1,5 million – à émigrer.

Le ciblage des chrétiens irakiens semblait incompréhensible pour les autres chrétiens arabes, qui sont depuis longtemps une partie intégrante du monde arabe. Toutefois, avec la montée du militarisme américain au Moyen-Orient, est apparu un discours selon lequel les communautés chrétiennes locales seraient la cinquième colonne des envahisseurs occidentaux.

Ce discours subsistait principalement aux marges de la société, mais les conflits et litiges fonciers personnels occasionnels entre musulmans et chrétiens ont alimenté cette interprétation. L’essor de l’EI en Irak et son expansion en Syrie ont transformé cette tendance marginale en une catastrophe potentiellement existentielle.

L’archevêque Sewerios Malki Murad est le chef spirituel de l’Église orthodoxe syrienne en Palestine et en Jordanie. Il est originaire d’al-Malikiyah, une ville à la fois kurde, syriaque et arménienne du nord de la Syrie à environ 200 kilomètres des lignes de front de l’EI. Il craint qu’une aggravation de la situation ne dévaste les communautés chrétiennes de la région.

« Si les guerres continuent, l’avenir sera très sombre », a-t-il déclaré à MEE dans une interview à l’archevêché, juste en contrebas de la route menant à la boutique de Barsoum. « Chaque fois qu’il y a une guerre au Moyen-Orient, c’est mauvais pour les chrétiens. »

Une histoire d’émigration

Les chrétiens de Syrie, de Jordanie, de Palestine et d’Irak ont eu historiquement un taux légèrement plus élevé d’émigration que les musulmans. Ces communautés ont tendance à être plus urbanisées et plus instruites que la moyenne, et par conséquent trouvent plus facilement des opportunités économiques à l’étranger.

Une autre raison majeure encourageant les chrétiens à émigrer est moins discutée : les pays occidentaux accueillent généralement plus facilement les chrétiens qui demandent des visas que les musulmans.

En conséquence, un flot continu d’émigration a longtemps été la norme. Néanmoins, la fuite soudaine et massive ne l’est pas.

« Avant la guerre, il y avait peut-être 10 % de chrétiens à finir par partir en raison de l’absence générale de possibilités économiques. Mais aujourd’hui, c’est la moitié », a déploré l’archevêque. « Avant, vous pouviez être patient et espérer que l’année suivante serait meilleure. Maintenant, c’est impossible. »

À Jérusalem, la détresse de la communauté syriaque est mise en évidence par la pression que subit la communauté sous la domination israélienne.

À Bethléem, à seulement quelques kilomètres au sud, mais derrière le mur de béton massif construit par Israël à travers la Cisjordanie, les syriaques sont un élément très important de la vie sociale. En plus d’avoir un grand quartier syriaque à proximité de l’église de la Nativité, des drapeaux et des autocollants syriaques sont présents sur les voitures et les drapeaux de la communauté ornent souvent la vieille ville.

La communauté s’inscrit parfaitement dans Bethléem, qui mélange chrétiens et musulmans. Mais même ici, le prêtre de l’église syriaque de la Mère de Dieu s’inquiète de l’avenir.

Des membres de la communauté syriaque applaudissent lors d’une cérémonie à Bethléem en l’honneur des récents diplômés du lycée et de l’université (MEE/Alex Shams) 

« Avec les changements qui se produisent dans le monde arabe, des points d’interrogation incompréhensibles se forment autour de l’avenir des chrétiens en Terre sainte », a confié le père Boutros Nimeh à MEE.

« On assiste chez toutes les communautés à un retour systématique à l’identité sectaire au lieu d’un recours à l’État », a-t-il poursuivi. « Cette tendance n’a pas surgi de nulle part. L’oppression et la souffrance que les peuples arabes endurent, ainsi que le rôle que joue l’Occident dans l’alimentation de ce climat sectaire, sont des éléments centraux du problème auquel nous sommes confrontés. »

« Nous vivons parmi les musulmans depuis 1 500 ans et n’avions jamais entendu ce genre de rhétorique auparavant. »

Les efforts de sectarisation israéliens

Bien que l’EI ne soit pas une menace en Palestine, le sentiment que quelque chose a changé est omniprésent. Cette situation est aggravée par l’évolution au sein même d’Israël, où les autorités ont tendu la main aux chrétiens palestiniens prétextant faire cause commune contre les islamistes.

En avril 2014, Israël a annoncé qu’il allait reconnaître une « identité ethnique araméenne », apparemment pour que les chrétiens palestiniens puissent se distinguer des musulmans.

L’archevêque a ri lorsqu’on lui a demandé si les syriaques, qui considèrent l’araméen comme leur langue sacrée et la langue maternelle de leurs ancêtres et s’identifient aussi souvent comme « Araméens », ont perçu cette décision comme bénéfique. D’autres syriaques auxquels a parlé MEE ont témoigné d’un même mépris, considérant cela comme un geste purement sectaire et vide de sens.

Tandis qu’une poignée de chrétiens en Israël y ont adhéré, les dirigeants syriaques et d’autres dirigeants chrétiens ont dénoncé cette décision comme un stratagème visant à « diviser pour mieux régner » contre les Palestiniens.

Cette décision identitaire a coïncidé avec d’autres tentatives israéliennes visant à encourager les chrétiens palestiniens qui sont citoyens d’Israël à rejoindre les rangs de l’armée israélienne. Les autorités israéliennes ont soutenu des personnalités marginales encourageant les jeunes arabes à s’engager, comme le père Gabriel Naddaf, malgré le fait que les Arabes musulmans et chrétiens soient exemptés du service militaire obligatoire.

On dénombre environ 150 000 chrétiens palestiniens en Israël et l’idée de prendre les armes contre d’autres Palestiniens est largement considérée comme une abomination au sein de la communauté. Cependant, une poignée de jeunes s’engagent encore chaque année.

L’espoir malgré un avenir incertain

Pour les syriaques, l’étrangeté de leur situation actuelle est aggravée par le fait que lorsque leurs ancêtres ont été persécutés il y a un siècle, c’est le monde arabe qui les a accueillis à bras ouverts.

Malgré les inquiétudes concernant l’EI, pour les Palestiniens, c’est la violence de l’occupation israélienne et ses effets économiques qui continuent de définir la vie quotidienne. Toutefois, les rues blanches pavées autour du quartier syriaque de Bethléem restent relativement épargnées par la présence militaire israélienne, les colonies exclusivement juives et les tirs incessants de gaz lacrymogène qui définissent la vie aux abords de la ville.

Malgré la longue ombre projetée par le groupe EI à l’étranger et par Israël au niveau national, les clients vaquent à leurs activités quotidiennes et la vie continue comme toujours dans la petite ville sur la colline où Jésus Christ est né il y a deux millénaires.

« Les gens pensent aux défis auxquels font face les syriaques ailleurs », a expliqué à MEE Issa Bassous, un marchand d’antiquités syriaque de la vieille ville. « Mais ici, nous vivons tous ensemble normalement et il n’y a pas de distinctions entre musulmans et chrétiens, ou orthodoxes ou catholiques, ou juifs.

« Tout va bien à Bethléem, contrairement à l’Irak ou à la Syrie où les chrétiens sont contraints de fuir leurs maisons et leurs terres natales. Je souhaite que le monde soit en paix et que les gens s’aiment les uns les autres. Mais malheureusement, ce n’est tout simplement pas le cas de nos jours. »

 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.